LA CHASSE

 

ZèbresLes animaux ont laissé des empreintes dans la terre humide. Gudo les examine. Un bref conciliabule avec An'k'a et ils pénètrent dans les broussailles. Amissi trottine à mes côtés. Le gamin est hilare. Il projette son arc vers l'avant en tirant sur le tendon.

- Dongoko... dongoko...! (zèbre)

Il se voit déjà devant les zèbres. Les chasseurs coupent net leur course. Je déclenche le moteur de la caméra. Gudo se retourne pour nous fait signe de garder le silence. Amissi porte sa main à la bouche en roulant des yeux de gamin pris en faute. Ils avancent lentement, les flèches posées sur les arcs. Leurs pas légers glissent sur l'herbe sans un bruit. Je tente en vain de les imiter, ma démarche ressemble à celle d'un bulldozer; une horde d'éléphants serait aussi discrète. Les hadzabé sont des chats qui progressent vers leur proie, moi je n'ai encore rien vu, ni rien senti. La végétation est touffue, d'un geste Gudo propose à son ami de contourner les buissons par la gauche, lui et le gamin resteront planqués là, en embuscade.

Les zèbres surgissent dans un trou de verdure. Gudo et Amissi décochent leurs flèches dans la mêlée. Un sifflement accompagne le martelage des sabots. Les animaux se sont évaporés.

En quelques instants, les hadzabé allument un feu. Ils ont besoin d'une flèche, d'une étroite plaquette du même bois qu'ils transportent, coincée sous leur pagne et d'un peu d'herbes sèches ramassées n'importe où. Je les regarde faire, fasciné. La caméra est posée sur le sol. Je suis assis en compagnie d'hommes de la préhistoire au cœur de la savane africaine. L'odeur du bois, le murmure du vent ajoutent à la magie. Ils plaisantent en claquant la langue, repliés contre un buisson aux branches chargées de fruits minuscules. Amissi arrache une grappe dont il grignote les baies en partageant les rires de ses compagnons.

L'herbe est foulée. Des branches cassées pendent comme des balises sur le passage des équidés affolés. Ces animaux sont taillés pour la fuite ; leur unique défense contre les prédateurs. Rester groupés, ne pas s'isoler, le salut dans une course éperdue où seule la vitesse compte. Gudo découvre un fragment de sa flèche brisée, accrochée dans les épines. Le zèbre a perdu du sang, il a barbouillé le feuillage en s'écartant de la voie tracée par le troupeau. Sa blessure l'a usé, engourdi, empêché de suivre l'allure. Les chasseurs se séparent pour fouiller une plus large partie de terrain. Amissi appelle les autres. Il fonce en criant de toutes ses forces. - Dongoko!

L'animal est couché sur le flanc, deux flèches plantées dans le corps.

- Amissi...Amissi m'béké! (Amissi le chasseur!)

Le gamin émerveillé parle au zèbre en caressant son encolure. Il hausse fièrement le menton vers Gudo qui le félicite. Le hadza enlève les dards. Un seul était pourvu d'un croc enduit de pâte toxique. Il restitue à l'enfant son arme intacte. La sienne s'est disloquée jusqu'au ras des chairs, Gudo la conservera pour allumer le feu. Avec une bandelette d'étoffe graisseuse, il enveloppe le harpon englué dans le sang et la substance mortelle. An'k'a ouvre le ventre de l'animal empoisonné. Ses bras plongent dans les entrailles. Assis à califourchon sur la tête de sa victime, le gamin soulève la peau Amissi et le zèbrepour aider Gudo à écorcher la dépouille. Le dépeçage a commencé. Tout va très vite. Les viscères sont triés, débarrassés de leurs impuretés. Les membres, les côtes, le cou, s'entassent à proximité de la carcasse sanguinolente. Autour de l'anus, An'k'a découpe un lambeau de graisse jaune qu'il partage avec Gudo. Ils l'avalent discrètement, à l'abri des regards du garçon. Le hadza nous le dira plus tard; les enfants comme les femmes ne mangent pas certains organes. Cette viande est réservée aux hommes initiés.

Le pick-up s'est faufilé jusque dans la clairière. En un voyage les hadzabé vont ramener chez eux plusieurs centaines de kilos de nourriture fraîche. Gudo insiste pour abandonner la tête, le foie et un carré de côtelettes sur le lieu du carnage. Les vautours ont entamé leur manège. Ils planent en virages serrés au dessus du pré que nous venons de quitter.

© Eric Turpin 2001