HISTOIRES DE HADZA

 

Nous sommes tous assis au sommet d'une muraille de rocs empilés. Sur une immense forteresse rouge, d'où l'on peut voir, au-delà du lac, un gros soleil voilé qui tente difficilement d'embraser le ciel.

Djela et Niebala- D'ici, se souvient Djela, on pouvait autrefois surveiller le gibier. Les animaux grouillaient, du bas de la falaise jusqu'au lac. C'était avant l'arrivée des mangatis et de leurs troupeaux. Les hadzabé, du haut de cette montagne, repéraient les groupes de zèbres ou de gnous, qu'ils allaient ensuite surprendre. Aujourd'hui, c'est fini. Les mangatis ont volé les points d'eau pour abreuver leur bétail, le gibier est parti boire ailleurs... Comme les hadzabé.Il lève les bras. Ses mains sont des ailes d'oiseaux qui s'enfuient.

- Nous ne connaissions pas la faim à cette époque. Mais il fallait disputer nos proies aux lions et aux hyènes qui pullulaient. Mon père m'a dit combien de fois il a du découper dans la hâte, le cuisseau d'un zèbre qu'il venait de tuer, avec le grondement et le souffle des hyènes derrière lui.

Gudo et l'éléphant- J'étais encore un jeune chasseur. Je surveillais les alentours, perché ici sur ce rocher, l'interrompt Gudo en pointant la main vers le lac - J'avais repéré un troupeau de buffles. C'était là-bas... Dans la prairie qui borde cette langue de sel. Il y avait aussi un groupe de lionnes qui furetaient. Un lion c'est dangereux, mais un buffle c'est beaucoup de nourriture. Avec sa viande nous pouvons inviter nos familles et manger largement tous ensemble. Je suis descendu et me suis approché des buffles, avant que les fauves ne les trouvent. J'avançais sans faire un bruit, courbé en deux, caché par les buissons. En contournant le troupeau, je découvre une bête isolée. Je réussis à me glisser suffisamment près pour la force de mon arc. le buffle relève la tête, alerté par le sifflement de la flèche. Nos regards se croisent, avant qu'il ne bondisse de fureur. - Bawa*! J'ai profité de la surprise du buffle pour me cacher un peu plus loin dans les hautes herbes. Je me suis couché en attendant que le poison fasse son effet. Un moment après, le buffle était étendu raide mort au milieu de ses congénères qui ruminaient comme de stupides zébus. Il fallait encore patienter. On ne peut pas se promener comme ça parmi ces animaux. Ils sont colériques, forts et toujours trop nombreux. Je devais attendre que ces buffles veuillent bien aller brouter ailleurs. Les lionnes ayant senti la mort seraient sur les lieux dans un instant. Je surveillais la brousse autour de moi. C'est très difficile de détecter un lion qui chasse dans le bush... Il est presque aussi bon chasseur qu'un hadza .

Gudo et TishiL'expression de Gudo s'illumine. Il fait une pause pour nous laisser le temps de l'imaginer; seul, accroupi sous les herbes avec d'un côté le troupeau de buffles, et de l'autre un groupe de lionnes attirées par le sang d'un animal blessé.

- Les buffles aussi ont reniflé les fauves, reprend Gudo. Un gros mâle a redressé son mufle d'un air féroce. Toute la troupe amorce alors un mouvement de repli. C'est le moment de se glisser jusqu'au cadavre et de commencer à le découper. Les buffles se sont éloignés mais les lionnes se rapprochent. Je n'ai pas fini de tailler la première cuisse qu'elles sont déjà là. Elles m'encerclent et tournent en grondant. Les lions ne sont pas stupides, ils savent que le hadza est l'animal le plus dangereux de la brousse. Elles ont bien été obligées de me laisser emporter mon morceau de viande. J'ai chargé l'énorme cuisse sur mon épaule et je n'ai pas manqué de les saluer en partant: "Mesdames les lionnes, ce buffle était à moi..."

AmissiLe soleil a disparu. Caché par des monts noirs, il réussi enfin à enflammer le ciel déchiré de nuages. L'air vire à l'orange. Le vent se lève et plisse les fronts sculptés de Gudo et Djela qui regardent. Depuis plus de dix mille ans, ils vivent de la même façon. La savane a traversé les millénaires en nourrissant les lions, les insectes et les hadzabé. Aucun d'eux n'a jamais rompu le fragile équilibre écologique de ce pays. Aujourd'hui la pression est trop forte. En un demi siècle cette région d'Afrique s'est transformée plus vite qu'en trois millions d'années. Les troupeaux des éleveurs et le gouvernement Tanzanien, s'acharnent contre ces rescapés de la préhistoire. Les blancs avec leurs safaris, sont les seuls à pouvoir régler le droit de chasse pour des animaux sauvages de plus en plus rares. Il leur en coûte deux cents dollars américains pour une antilope. Les hadzabé payent cher cette intrusion de l'argent dans leur société. Certains d'entre eux, accusés de braconnage, croupissent en prison pour avoir tué un zèbre.

©Eric Turpin 2001